Histoire de la construction :
En 1135, afin de faciliter l’approvisionnement des parisiens, Louis VI résolut de transférer les marchés de la ville dans un espace plus vaste, situé hors de ses murs, sur l’emplacement d’un ancien marécage desséché. Ce nouveau marché prit le nom de halles, ou de alles « pour ce que chacun y alloit », précise le chroniqueur Gilles Corrozet [1].
Chacun y « alloit » tellement qu’il connut une expansion rapide. En 1183, on lui adjoignit la foire Saint-Ladre, et on fit bâtir deux bâtiments pour abriter leurs activités. En 1190, la construction de l’enceinte de Philippe Auguste permit son incorporation à la ville, et accéléra son urbanisation. L’église Saint Germain l’Auxerrois, voisine, n’était alors plus assez grande pour satisfaire aux besoins religieux des nouveaux riverains.
Or, au début du XIIIème siècle, il y avait un bourgeois nommé Jean Allais, qui avait prêté une somme assez ronde au roi. Ce dernier trouva le moyen de rembourser sa dette sans rien dépenser ; il créa une taxe nouvelle, dédiée à son créancier : pour chaque panier de poisson vendu aux halles, un denier devait être versé à celui-ci. Jean Allais vit sa fortune grossir autant que l’animosité des marchands des halles à son égard. Afin de les contenter, il décida, en 1213, la construction d’une chapelle dédiée à Sainte Agnès, à proximité du marché.
En 1223, la chapelle reçut de l’abbaye Saint-Denis les reliques de Saint-Eustache, un général romain martyrisé en raison de sa foi chrétienne. Elle devint alors une église et prit le nom de ce saint.
Au XVIème siècle, les halles avaient encore grandi. Et les dimensions modestes de l’église ne permettaient plus d’accueillir tous les fidèles. Elle fut condamnée à être démolie et remplacée par un édifice plus imposant. La première pierre de l’église actuelle fut ainsi posée en 1532, sous François Ier ; la construction ne s’acheva qu’en 1637, sous Louis XIII.
En 1754, l’ancienne façade, devenue fragile, fut démolie et remplacée par une nouvelle, bâtie à partir des dessins de Mansart de Jouy. L’édifice prit alors sa forme définitive.
Les grands hommes qui l’ont fréquentée :
Le 15 janvier 1622, Molière y fut amené par ses parents pour recevoir le baptême. Il était né à quelques pas, à l’actuel 96, de la rue Saint-Honoré. Toute son enfance s’étant déroulée dans la quartier des Halles, il est très probable qu’il ait beaucoup fréquenté l’église.
En juillet 1778, de tragiques évènements y attirèrent Mozart, qui avait alors 22 ans. Il était arrivé à Paris en mars, en compagnie de sa mère, dans l’espoir d’y nouer des relations qui favoriseraient sa carrière musicale. Mais sa mère tomba malade et mourut. Il assista à ses obsèques dans cette église, seul et désespéré.
Dans les années 1840, le maître de chapelle était Charles Gounod, qui était très jeune et qui n’avait pas encore composé son Faust et ses autres chefs-d’oeuvre. Dans la chorale qu’il dirigeait, il y avait un enfant pour lequel il s’était pris de passion : c’était Pierre-Auguste Renoir. Le fils de ce dernier a rapporté la description que lui fit son père des fidèles de l’église à cette époque : « des visages d'hommes dont le métier est de tuer [les bouchers], des corps habitués à supporter des fardeaux, des hommes et des femmes qui connaissent la vie et qui ne viennent pas à la messe pour montrer leurs habits du dimanche ni pour des raisons sentimentales. C'est là, dans de le froid d'une matinée d'hiver, que j'ai compris Rembrandt ! » [2]
Malgré les exhortations de Gounod, et le talent de son élève, celui-ci renonça au chant, qui, pensait-il, n’était pas fait pour lui. Son tempérament le poussait vers un autre art…
Le 26 juin 1853, le peintre Delacroix visita l’édifice, et en rapporta, dans son Journal, cette description : « Arrêté longtemps à Saint-Eustache, à entendre les vêpres : cela m’a fait comprendre, quelques instants, le plaisir qu’il y a d’être dévot... J’ai vu passer et repasser tout le personnel de l’église, depuis l’éclopé donneur d’eau bénite, affublé comme un personnage de Rembrandt, jusqu’au curé dans son camail de chanoine et sa chape de cérémonie. »
Le 30 avril 1855, Berlioz y dirigea l'orchestre qui jouait son Te Deum. Il l'a évoqué dans une lettre à Liszt : « Je t’écris trois lignes pour te dire que le Te Deum a été exécuté aujourd’hui avec la plus magnifique précision. C’était colossal, Babylonien, Ninivite. La splendide église était pleine. Les enfants ont chanté comme un seul artiste; et les artistes comme… je l’espérais et comme j’avais le droit de l’attendre d’eux à cause de la sévérité qui avait dicté mon choix. Pas une faute, pas une indécision. [...] Je t’écris à toi le premier, tout harassé que je suis, parce que je sais bien que pas un homme en Europe ne s’intéresse à cet avènement autant que toi. Oui Le Requiem a un frère, un frère qui est venu au monde avec des dents, comme Richard trois (moins la bosse); et je te réponds qu’il a mordu au cœur le public aujourd’hui. Et quel immense public! nous étions neuf-cent-cinquante exécutants. Et pas une faute! Je n’en reviens pas. Il m’était venu des amis de Marseille (Lecourt, Rémusat, etc.) Lecourt était dans un état ; il ruisselait, c’était un fleuve ! Adieu je vais me coucher. Quel malheur que je sois l’auteur de cela ! »
Notes :
[1] La fleur des antiquitez de la noble et triumphante ville et cite de Paris, Gilles Corrozet, 1532
[2] Pierre-Auguste Renoir, mon père, Jean Renoir, 1962